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Un châteauneuf-du-pape non parkerisé

« Mon vin n’est pas parkerisé! » C’est comme ça que Jean Abeille décrit son vin lorsqu’il nous fait remarquer qu’il ne produit pas une cuvée prestige de son châteauneuf-du-pape.

Il nous dit que Robert Parker lui a demandé avec insistance de faire une cuvée spéciale, mais il refuse. Il veut plutôt continuer à produire un bon vin et non pas deux qui seraient constitués d’un côté d’une sélection de quelques cuves pour les notes des chroniqueurs de vin, et de l’autre d’un petit vin.

Il faut dire que plusieurs producteurs de châteauneuf sont tombés dans le panneau de la grande et de la petite cuve. La grande, à fort prix pour les notes, et la petite pour nous les consommateurs.

Trop souvent cette action a pour résultat de diluer la cuve ordinaire, celle produite en grande quantité et qui se retrouve sur nos tablettes.

Donc, Jean Abeille, du haut de son Mont-Redon, résiste, et c’est tant mieux. Il fait 340 000 bouteilles de châteauneufs rouges et 60 000 en blanc.

Le mont est en fait un plateau surélevé et recouvert de cailloux, de milliards de galets.

Mourredon appartient en 1334 au castel papal, au Domaine épiscopal. Au fil des ans, il passe aux mains des familles Astier, puis Mathieu et enfin Plantin.

Jean Abeille s’en occupe maintenant aidé de sa famille élargie, soit son cousin Didier Fabre et leurs fils.

Le domaine a 175 hectares dans l’appellation châteauneuf-du-pape, dont 100 plantées de vignes. La pièce principale est ce plateau de 60 hectares recouvert d’un à deux mètres de cailloux ronds qui reposent sur de l’argile rouge.

Les galets emmagasinent la chaleur du jour et la retransmettent sous le feuillage la nuit.

Le sous-sol d’argile assure l’irrigation et nourrit les racines des vignes.

Il fait très chaud et sec sur ce plateau. La vendange y débute souvent huit jours plus tôt qu’en bas.

Depuis quelques années, depuis 1998, le producteur observe un réchauffement.
  «Il y a un réchauffement climatique manifeste. Il y a moins de pluie et il fait plus chaud.»

Un peu d’irrigation
Jean a acheté quelques hectares en bas du plateau. À notre étonnement, les vignes sont irriguées par un système de boyaux qui courent le long des vignes et les alimentent au goutte-à-goutte comme en Argentine et en Australie.

Il a obtenu l’autorisation des autorités pour doter cette parcelle d’un tel système.

Il cultive les 13 cépages sur ce domaine de l’appellation châteauneuf: 7 rouges et 5 blancs.

Jean et sa famille qui ont un souci assez évident de l’écologie ont installé un centre d’épuration des eaux très original. Les eaux usées du domaine sont filtrées par des roseaux.

Le vin
Le domaine fait vieillir ses vins assez longtemps, ce qui fait qu’à un certain moment dans l’année il y a trois récoltes en cave. Le vin fait de 10 à 14 mois en barrique. Plus de 800 barriques renouvelées aux quatre ans s’entassent donc dans les caves souterraines. «Maintenant, on érafle totalement. Je remplace les tanins de rafle par les tanins de barrique.»

Voici quelques vins dégustés au domaine en mai 2007.

« Ici Messieurs génuflexion s’il vous plaît…
Rutilant dans sa pourpre cardinalice, chaud de tout le soleil provençal, embaumé des arômes de ses garrigues, tout vibrant du chant de ses cigales, il termine en feu d’artifice les grandes appellations des collines rhodaniennes. »
Baron Leroy


Châteauneuf-du-pape rouge 2003
Actuellement disponible à la SAQ. Un bouquet discret d’épices et de petits fruits. Bien tannique et assez austère. De beaux tanins pour le long terme. Chaleureux. On a vendangé plus tôt en cette année caniculaire afin d’éviter d’avoir trop d’alcool. Rendement: 30 hectolitres à l’hectare. 240 000 bouteilles. 00856666  ***1/2

Châteauneuf rouge 2004
Il devrait être disponible au Québec en août. Un vin de belle constitution. Des arômes et des saveurs d’épice, des tanins serrés. Consistant. « Je cherche à préserver le fruit », dit Jean Abeille. Un vin sérieux et assez long. ***1/2

« Nos châteauneuf rouges atteignent leur plénitude entre la 4e et 8e année, mais il peuvent se garder 10 ans et plus selon les millésimes et les conditions de conservation. »

 

Encépagement
65 % de grenache, 15 % de mourvèdre, 10 % de cinsault, 5 % de mourvèdre et 5 % de counoises, muscardins et vaccarèse.

 

Châteauneuf rouge 2005
Il est encore en barrique. Très foncé. Un vin pansu aux saveurs de fruits écrasés. Des tanins veloutés. Un vin sphérique, riche, friand. Forminable. La grande année!  ****

La Syrah un problème
La syrah semble avoir un drôle de comportement depuis quelques années. Elle est malade! Eh oui, le taux de mortalité est très élevé. Une partie des plants meurt entre 10 et 15 ans. On ne sait trop ce qui cause cette faiblesse. Les autorités ont commandé des études. Il y aurait un problème au niveau du point de greffe.

Certains producteurs, comme Beaucastel, n’en plantent plus, ils l’abandonnent progressivement ou du moins tendent à en mettre moins dans leur vin.

Plusieurs nous ont dit que les clones mis sur le marché il y a quelques années se révèlent être de bien piètre qualité.

Châteauneuf rouge 2001
Ample, tanins fins, sensation de longueur. ****

Châteauneuf rouge 1998
Le vin s’ouvre. Un bouquet de champignons, de café. Des tanins fins et volumineux. Substantiel et très long. L’autre grande année! ****1/2

Châteauneuf rouge 1993
Des arômes de viande et de fumée. Le fruité est encore très présent. Les tanins attrayants. Une très longue finale de café brun. ****

Châteauneuf rouge 1990
Un bouquet de cuir et de tabac. Très fin en bouche. Les tanins tiennent encore bien leur place. Savoureux, long et mature.
Il appelle le gibier. ****1/2

Châteauneuf rouge 1978
Teinte orangée. Rondeur. Bien structuré. Ça se tient encore merveilleusement bien. Beaucoup de matière. Toute en finesse, rien d’excessif. Surprenant. Une finale sur le tabac blond. ****1/2

Nous constatons donc que ces châteauneufs vieillissent très bien et gagnent en complexité au cours des années.

Châteauneuf blanc 2006
Floral et minéral. Très beau fruit, rond, calcaire, jovial, franc, fin et très long. ***
Une production de 60 000 à 80 000 bouteilles selon les années.

Châteauneuf blanc 2005
Doré vert. Arômes de lime, de citron. Une belle attaque, beaucoup de fruit. riche, floral. Une très belle longueur. ****

« Nos châteauneufs du pape blancs s’apprécient jeunes, dans les deux ans qui suivent la récolte si l’on recherche le côté fruité, élégant et charmeur.

Les amateurs de vins blancs plus âgés devront les consommer au-delà de 5 ans pour attendre l’évolution aromatique et l’apparition des arômes secondaires: notes miellées, acacia, truffe, réglisse… »

Encépagement en blanc
40 % grenache, 25 % bourboulenc, 20  % clairette, 10 % roussanne et 5 de picpoul.

Le domaine fait aussi des vins sur d’autres appellations, dont 27 hectares en Côtes-du-Rhône et 18 en Lirac.


Côtes du rhône blanc 2006
Floral, des arômes de melon. Frais, une petite sensation beurrée en bouche. Vif. Agréable, un certain gras. **
20 000 bouteilles.

Côtes-du-rhone rouge 2005
Pas de barrique, que des cuves de béton pour l’élevage. Le résultat: plein de fruits, des tanins fins et ronds. Très bien. **1/2
140 000 bouteilles.

Lirac blanc 2006
Dégusté une semaine avant l’embouteillage. Doré et aromatique. Saveur beurrée, riche. Encore sur le bois. Très long. **

Lirac rouge 2005
En barrique. Rouge foncé. Une masse de fruit, de la cerise noire, des tanins gommants. Tellement généreux. Un vin qui a de l’avenir. ***


Rio-Tord 2006
Un rosé des côtes-de-provence riche et costaud. De la matière et une belle longueur.
Dans la famille depuis quatre générations, 94 hectares près de Saint-Tropez. Grenache, cinsault et syrah. **

Châteauneuf-vrai-du-pape
Voilà donc un producteur sérieux bien appuyer par ses fils, son cousin Didier Fabre ainsi que le fils de celui-ci. Ils font des châteuneufs classiques sans esbroufe, qui plairont moins aux amateurs de vins surmatures, mais qui sauront charmer les amoureux du châteauneuf-(vrai)-du-pape.