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Une inflation de 90 points

Robert Parker and the Ascent of California Pinot NoirEn voulez-vous des 90 points?
Les critiques américains de vin donnent des notes en utilisant le système 90.

Nous observons depuis quelques années une proportion de plus en plus élevée de vin obtenant cette note de passage.

Jusqu’ici cette observation relevait plutôt du domaine empirique. C’était une impression. Il n’y avait pas d’études statistiques sur le sujet.

Mais voilà que Tom Wark, un spécialiste des communications sur le vin, publie des statistiques sur les notes du groupe Robert Parker concernant les pinots noirs de Californie de 1989 à 2009

On y apprend, entre autres, qu’en 1999, 39 % des pinots noirs de Californie recevaient une note de 90 et plus de Robert Parker et associés, alors que 10 ans plus tard, le double, soit 78 % des ces vins sont cotés 90 et plus!

Est-ce que ce serait dû au fait que la qualité générale des pinots noirs de Californie se serait grandement améliorée. Il semble bien que non, puisque la même équipe donne une note identique de 90 pour la qualité générale de ces deux millésimes.

La hausse est encore plus forte dans les notes des chardonnays de Californie. De 1990 à 2000, 47 % d’entre eux obtiennent 90 points ou plus; puis de 2002 à 2009, c’est 71 % de ces chardonnays qui obtiennent les scores désirés.

Pire encore pour les cabernets sauvignons, dont les 90+ passe de 39 % (1989-2001) à 74 % (2002-2008).

M. Wark cherche une explication, mais ne la trouve pas dans les chiffres.

Si on fait le même genre de recherche dans la base de données du Wine Spectator l’on constate aussi une forte hausse du nombre de vins qui obtiennent 90 points et plus, soit 417 vins pour le millésime 1986 et dix fois plus soit 4701 pour le millésime 2006.

Dans le millésime 1986 16 % des vins publiés par ce magazine obtenaient 90 points et plus, alors qu’en 2006 c’est 29 %.

Même les vins moins chers voient leurs notes augmenter fortement. Plus de 5000 vins de moins de 20 $ obtiennent une note de 90 et plus. En 1998, 3,2 % des vins de moins de 20 $ scoraient 90 et +, dix ans plus tard c’est 5,7 %.

Qu’est-ce qui expliquerait cette multiplication par deux des notes?

À mon avis c’est un glissement normal, prévisible et inhérent à ce système de notation sur 100. La note de passage étant de 90, il était prévisible qu’un plus grand nombre de vins allait l’atteindre.

Autrefois, 90 était donné à un vin exceptionnel (un 4 étoiles), aujourd’hui on le donne à tous les vins très bons (les 3 étoiles).

Il y a aussi le phénomène de notoriété. Un plus grand nombre de coteurs donnent des 90, alors celui qui en donne peu n’est pas pris au sérieux.

Les marchands, les consommateurs, les producteurs focalisent sur les 90. Si un chroniqueur en donne peu, on parlera peu de lui.

Au Québec, quelques chroniqueurs de vins utilisent à l’occasion ce système 90. Mais à l’ancienne mode et avec parcimonie. On donne peu de 90, on n’est pas généreux.

Dans les jurys québécois, les moyennes sont presque toujours sous la barre des 90. J’ai même vu une note de 58 dernièrement. À croire que ce vin a conduit notre confrère sur une civière à l’Urgence!

Comme nous le signale Tom Wark, seulement 3 % des 3320 vins de pinots noirs de la base de données 1989-2009 du Wine Advocate ont moins de 75 points.

Donc, les chroniqueurs américains sont beaucoup plus généreux que nos coteurs québécois. C’est pourquoi la SAQ va surement réinviter James Suckling à venir donner des 90 à la tonne. Elle ne va pas le demander à Jacques Benoit ou à Marc Chapleau pour qui un très bon vin (trois étoiles) équivaut à seulement 85 alors que des distributeurs de notes comme James Suckling et Robert Parker leur donnent un bon 90.

Quelle conclusion tirer de tout cela?
Tout simplement de ne pas se laisser éblouir par ces avalanches de chiffres généreux. Lorsqu’un trop grand nombre des vins ont la note supérieure, il faut chercher ailleurs pour trouver le meilleur. Nous devons alors lire les descriptions.

Un très bon vin ce n’est pas la somme de qualités quantifiables.

En terminant, lisons cette description suave du vin qui a reçu la note la plus basse parmi ces pinots noirs jugés par le Wine Advocate et citée par M. Wark.

  «Huge levels of volatile acidity are totally unacceptable. This wine is disjointed, badly made, flawed, and virtually undrinkable because of the volatile acidity. That’s a shame as the wine certainly has plenty of personality.»

Traduction libre:
  «Les niveaux énormes d’acidité volatile sont totalement inacceptables. Ce vin est disjoint, mal fait, défectueux et pratiquement imbuvable en raison de l’acidité volatile. C’est une honte car le vin a certainement énormément de personnalité.»

Voir les texte de Tom Wark sur le site Fermentation:
  Robert Parker and the Ascent of California Pinot Noir;
  Robert Parker and the Odd Case of the 2002 Vintage:
  Robert Parker and CA Chardonnay: A History.


   Texte mis à jour le 26 novembre 2011