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Champagne: le double de pesticides

Je reviens sur ce sujet de l’usage excessif de pesticides en Champagne parce que l’Association américaine des économistes du vin (American Association of Wine economics) publie ce matin une étude sur le sujet.

Les trois chercheurs français ont analysé les attitudes face aux risques des producteurs de raisins de cuve de 10 régions viticoles de France.

Ils ont compilé des chiffres sur l’utilisation des pesticides par hectare dans ces régions viticoles pour la période de 2005-2014 et présenté ces chiffres en moyenne annuelle. Ils présentent la Champagne à part étant donné les différences fort notables à tous les points de vue.

Le tableau suivant est édifiant. On y voit que les vignerons de Champagne utilisent presque deux fois plus de pesticides qu’ailleurs; quatre fois plus d’engrais; dépensent presque quatre fois plus pour la protection des vignes; quatre fois plus pour la main-d’oeuvre; récoltent deux fois plus de raisins pour la même superficie de terrain; produisent plus que le rendement autorisé et finalement ils ont des revenus six fois plus élevés à l’hectare que les autres vignerons des autres régions de France.

  Champagne Autres
Superficie moyenne des fermes (ha) 4 18
Rendements (kg/ha) 12130 6694
Rendements autorisés 10770 8333
Revenus (€/année/ha) 37529 5499
Cout protection des plantes 1907 570
Coût des engrais (€/année/ha) 954 199
Cout main-d’oeuvre (€/année/ha) 10759 2359
Pesticides (kg/ha) 66 39
Engrais 60 37
Main-d’oeuvre (heures/ha) 677 194
Traduction du tableau 2 de Risk attitudes in viticulture: the case of french winegrowers, www.wine-economics.org, janvier 2018

Les auteurs disent que «nous constatons que la demande de pesticides est inélastique et que tous les types de vignerons sont réticents au risque. Pour la majorité d’entre eux, l’aversion au risque décline avec le rendement attendu (DARA), mais pour la région Champagne, c’est le contraire. Le bénéfice escompté est beaucoup plus élevé que dans les autres régions et les vignerons sont plus réticents à prendre des risques lorsque le bénéfice escompté augmente (IARA).»

De plus, la viticulture «Étant une culture commerciale, elle implique des rendements élevés grâce à l’utilisation d’intrants chimiques.»

Au sujet de l’aversion au risque, elle est beaucoup plus forte en Champagne qu’ailleurs en France comme le démontre le tableau suivant.


ARA=absolute risk aversion; DRA=downside risk aversion; RRP=relative risk premium

«L’utilisation de pesticides tend à réduire l’incertitude de la production et la viticulture.»

En conclusion, «ces viticulteurs qui visent à maximiser le profit utiliseront les pesticides aussi longtemps que les couts marginaux de l’utilisation seront inférieurs aux avantages marginaux qu’ils obtiennent.»

Autrement dit, les vignerons auront tendance en général à utiliser moins de pesticides s’ils espèrent faire plus d’argent. Par contre, c’est le contraire en Champagne: plus ils escomptent faire de l’argent, plus ils utilisent de pesticides!

Ceci, selon moi, cela peut s’expliquer par trois facteurs:

  • En Champagne la grande majorité des viticulteurs ne font pas de vin, mais font du raisin qu’ils vendent à des négociants qui eux font et vendent le vin;
  • Le climat de la Champagne est moins propice à la culture du raisin de qualité que d’autres régions;
  • Le champagne se vend très bien. Les prix sont contrôlés et très élevés. On vise le marché du luxe.

Finalement, les auteurs disent aussi constater l’échec du plan Échophyto 2008 censé inciter les viticulteurs à diminuer l’utilisation de pesticides. «Nous ne pouvons pas non plus constater d’effet de push-pull règlementaire attendu après la mise en place en 2008 du plan Ecophyto, censé offrir de fortes incitations à diminuer utilisation de pesticides dans l’agriculture française.»

Cette forte et constante utilisation de pesticides en Champagne représente peut-être un nuage noir sur ce produit de luxe très valorisé par un brillant marketing.
Ajout le 2 février
Le Comité interprofessionnel des vins de Champagne n’a pas voulu donner son opinion sur cette étude. «Nous n’avons pas les éléments nous permettant de commenter cette étude car nous ne disposons pas des chiffres des autres régions», nous dit M. Thibaut Le Mailloux Directeur de la communication CIVC.

 

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RISK ATTITUDES IN VITICULTURE: THE CASE OF FRENCH WINEGROWERS
Joël Aka, Adeline Alonso Ugaglia (Bordeaux Sience Agro) et Jean-Marie Lescot (ISTEA France) www.wine-economics.org. Janvier 2018. PDF 38 pages.

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