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Le bouchon

Le bouchon de liège est l’ami du vin. Ses qualités sont remarquables. Il est étanche et scelle efficacement la bouteille. Il est neutre et ne transmet aucun goût au vin. Il est peu sensible aux variations de température et pourrit très rarement. Il est aussi d’une élasticité exceptionnelle. Après avoir été comprimé, il reprend sa forme originale. Il est estimé que sa longévité est de 20 à 50 ans.

Tout cela explique pourquoi, après plus de deux siècles d’utilisation, le liège est encore très apprécié aujourd’hui. Il est le seul matériau connu qui permette le vieillissement en cave des vins dignes d’être attendus, parfois de très longues années.

Pour préserver efficacement le vin aussi longtemps, le bouchon ne doit pas sécher. C’est pourquoi il faut toujours conserver la bouteille couchée dans un milieu humide. Le vin dans la bouteille à un bout et l’humidité ambiante à l’autre bout, chacun de leur côté, alimentent le bouchon qui peut ainsi pleinement jouer son rôle protecteur. Un bouchon qui se dessèche laisse pénétrer l’air dans la bouteille. Le vin s’oxyde alors et il est perdu.

Les plus grands vins étant normalement ceux qui doivent être attendu le plus longtemps, les producteurs utilisent les bouchons les plus longs pour fermer ces prestigieuses bouteilles. Un bouchon de grand vin est donc souvent jusqu’à deux fois plus long qu’un bouchon de petit vin.

Le bouchon de liège provient de l’écorce d’un arbre appelé savamment Quercus suber, en français, le chêne-liège. Celui-ci a une durée de vie productive de 165 ans environ. Tous les dix ans, les plaques d’écorce sont prélevées sur l’arbre. Elles sont séchées, baignées dans une substance fongicide puis, les bouchons sont découpés dans la masse.

Le liège n’a qu’un seul défaut, il est rare. La production actuelle ne suffit plus à la demande mondiale grandissante. Le chêne-liège ne croît que dans certains climats méditerranéens. Le Portugal fournit presque les trois-quarts de la production mondiale et des milliers d’hectares y ont été dévastés par les feux de forêt de l’été dernier. De plus, l’arbre va mettre des années avant d’être productif.

Si l’offre de liège stagne ou diminue, la demande s’emballe. La production de vin explose, surtout dans le Nouveau Monde. La crise a aussi été accélérée par la disparition de la capsule dévissable. Il n’y a pas si longtemps, presque tous les vins dits de consommation courante – les petits vins pas cher – étaient ainsi bouchés.

Depuis, le vin est devenu une industrie aux dimensions mondiales. Nécessairement, pour la mise en marché de leur produit, les vignerons ont fait appel aux spécialistes. L’un des premiers conseils que les experts en marketing ont donné aux producteurs, a été de faire disparaître les capsules dévissables, trop identifiées à un produit de petite qualité.

Aujourd’hui, pour rassurer [berner ?] le consommateur, même la pire des vinasses est vendue sous liège. Les petits vins étant produits en quantité autrement plus considérable que les grands vins, la demande pour le liège prend des proportions affolantes.

Pour faire face à la crise, les producteurs de liège ont trouvé des solutions astucieuses. Autrefois, les bouchons de mauvaise qualité étaient jetés. Aujourd’hui, ils sont colmatés, on bouche les trous. Avec les résidus de la taille, il est aussi fait des bouchons agglomérés bon marché. Les retailles de liège sont mélangées à une résine et le tout est pressé et moulé en forme de bouchon.

Ces techniques ne suffisent pas à combler le déficit. De nouveaux matériaux synthétiques doivent être utilisés, souvent des plastiques. Les Américains ont été les premiers à mettre au point ces bouchons « artificiels ».

Que le consommateur se rassure, ces bouchons colmatés, agglomérés ou même faits de matériaux inconnus sont très efficaces et font très bien le travail, pendant quelques années tout au moins. Si, en effet, pour garder un vin plus de trois ans, le liège de qualité reste indispensable, il n’est aucunement nécessaire pour la grande majorité des vins.

La très grande majorité des vins sont bus moins d’un an ou deux après leur mise en marché. Le plastique reste donc une excellente solution à la pénurie de liège. Il présente en plus le grand avantage d’être plus vendeur et mieux accepté que la capsule dévissable qu’il remplace.

Une fois le bouchon sorti du goulot, la pire erreur à faire, c’est de le porter à son nez. Un bouchon sent… le bouchon. Il ne révèle rien de l’état de santé du vin dans la bouteille et est encore moins un révélateur fiable de la qualité de ce vin. Pour vérifier si le vin est bon, il faut sentir et goûter le vin, pas le bouchon. Certains bouchons sont tellement secs qu’ils tombent en poussière. D’autres sont tout moisis et imbibés de vin. Pourtant, presque toujours, ces piteux lièges cachent des vins parfaitement sains. À l’opposé, chacun est à même de constater que les vins bouchonnés ou oxydés sont très rarement trahis par leur bouchon qui, très souvent, semble parfaitement sain.

Pour juger un vin, il faut toujours interroger le vin, pas son habillage. Cette loi est fondamentale. Le sommelier, plus souvent le serveur, qui plante brutalement un bouchon sous le nez du client, commet une faute professionnelle grave. Il lui impose de subir une odeur des plus désagréables, alors que ce client doit pourtant se préparer à analyser le nez du vin, afin de décider de l’accepter ou pas.

Parce que, malheureusement, certains clients peu avertis exigent d’y mettre le nez – preuve qu’ils n’en ont pas – le serveur n’a souvent pas le choix de présenter le bouchon. Au moins, il respectera les gens honnêtes en déposant discrètement le bouchon sur la table, loin du nez de chacun. Au client de décider ce qu’il en fera. La bonne décision, c’est de ne pas y toucher. Alors, le serveur fera prestement disparaître l’objet.

Le bouchon est associé à l’un des défauts des plus courants à affecter tant l’arôme que le goût le vin, le vin bouchonné. Il est possible que certains bouchons de mauvaise qualité ou défectueux transmettent des maladies et donnent ce goût détestable de moisi au vin. La preuve n’est cependant pas encore faite que le bouchon soit seul responsable du vin dit bouchonné. Beaucoup d’experts évoquent de nombreuses autres hypothèses pour expliquer le phénomène. Elles vont de la propreté des cuves de fermentation à une mauvaise technique d’embouteillage, tout en passant par l’utilisation de bois traité dans les chais. Le mystère reste entier.

Chose certaine, l’amateur de vin doit apprendre à reconnaître le nez caractéristique du vin bouchonné. Trop de gens, qui ne savent pas faire la différence, boivent le vin bouchonné. C’est là une cruelle torture à laquelle personne ne devrait être soumis. Pour ne pas la subir, celui qui a un doute doit simplement s’abstenir. Et rapporter la bouteille à la société d’État qui le lui a vendue.

Cela ne coûte rien, puisque tant la Société des alcools du Québec que la Régie des alcools de l’Ontario reprennent et remboursent les vins défectueux achetés depuis moins d’un an. L’acheteur n’a qu’à prononcer le mot magique, « bouchonné », et le problème est résolu aussitôt.

[Cet article a été publié dans le journal Outaouais Affaires]

Benoit Guy Allaire,
l’Académie du vin de l’Outaouais