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Le vin est-il un produit naturel?

Victor Hugo a écrit : «Dieu a créé l’eau, mais c’est l’Homme qui a inventé le vin». Si donc c’est l’Homme qui fait le vin (et puisque là où il y a de l’homme il y a nécessairement de l’hommerie), un doute est possible : le vin peut-il être un produit «naturel»?

Bien sûr que oui répondent ceux qui font les lois qui gouvernent les Hommes. La législation européenne le prouve en donnant la définition légale suivante du vin : boisson issue de la fermentation de jus de raisins frais. Quoi de plus naturel que de laisser tout naturellement fermenter le jus d’un fruit si généreusement donné à l’Homme par Dieu.

Pourtant, ceux qui font la Loi ont aussi permis quelques aménagements avec la nature, toujours si (trop) capricieuse.

Pour faire de bons raisins, les vignerons européens peuvent le plus légalement du monde y aller joyeusement avec plein de poudres magiques. Les produits chimiques de synthèse, herbicides, fongicides, pesticides et autres poisons homicides sont libéralement épandus sur leurs vignes.

Une fois les raisins cueillis, il faut encore transformer leur jus en vin. La fermentation est aussi un processus naturel. Ici encore les législateurs européens ont cependant autorisé les vinificateurs à recourir à certaines mesures pour « aider » la nature à faire correctement son travail.

Voici une petite liste de produits autorisés (Liste comparative des traitements oenologiques autorisés)(1) pour faire du «bon» vin. (2)

Pour provoquer la fermentation alcoolique, il est nécessaire de faire intervenir des enzymes contenus dans une levure. Les adeptes du bio s’en tiennent aux levures naturelles contenues dans la pruine (une fine couche blanchâtre) qui recouvre les raisins. Le plus souvent, les vinificateurs vont cependant utiliser des levures sélectionnées achetées dans le commerce. En Europe, les différentes catégories d’enzymes exogènes autorisées sont les beta glucanases, les pectolytiques, les carbohydrases et les uréases. C’est quand même moins qu’aux États-Unis où l’on autorise aussi les catalases, les cellulases, le glucose oxydase et les protéases.

Pour faciliter les processus de fermentation, la législation européenne autorise aussi l’ajout dans le vin de lies fraîches, mais aussi de bisulfite d’ammonium, de chlorohydrates de thiamine, d’écorces de levures et de sulfites d’ammonium. Pour les vins mousseux, l’on peut aussi ajouter du phosphate diammonique et du sulfate d’ammonium.

Pour équilibrer un vin, il est parfois nécessaire de l’acidifier, ou de le désacidifier. Pour l’acidifier, l’Europe autorise l’ajout d’acide tartrique. Pour le désacidifier, la recette la plus noble est de provoquer, en ajoutant des bactéries lactiques au vin, la fermentation malolactique. Celle-ci permet aux enzymes de transformer les acides maliques en acides lactiques.

Des raccourcis sont cependant aussi autorisés. Le vinificateur européen peut alors avoir recours au carbonate ou au bicarbonate de potassium, au tartrate neutre de potassium, au carbonate de calcium ou à une préparation homogène d’acide tartrique et de carbonate de calcium.

Pour acidifier, les Américains, eux, peuvent, en plus de l’acide tartrique, ajouter directement des acides fumariques, lactiques et maliques.

Pour «enrichir» un moût, il est permis de chaptaliser, c’est-à-dire d’y ajouter du saccharose (du sucre) ou des moûts concentrés rectifiés (MCR). Ces techniques permettent d’obtenir un degré alcoolique plus grand.

Une autre technique pour enrichir un vin, c’est l’élevage traditionnel en barrique. Depuis peu, l’emploi de copeaux de bois dans les moûts ou dans le vin est aussi autorisé.

Avant de mettre un vin en barrique ou en bouteille, il faut le clarifier pour le stabiliser. Pour ce faire, l’on peut utiliser des moyens mécaniques, la filtration ou la centrifugation par exemple. Plusieurs autres moyens sont aussi autorisés. Dans la panoplie disponible à ceux qui pratiquent la clarification chimique citons : l’alginate de calcium et l’alginate et les casséinates de potassium, la colle de poisson, le dioxyde de silicium, la gélatine alimentaire, la gomme arabique, le lait, la lactalbumine, des matières protéiques ou végétales, l’ovalbumine, la bentonite, le sulfate de fer et certains composés comme les diatomites et la cellulose.

Pour la stabilisation proprement dite (pour empêcher le vin de refermenter), il est possible de chauffer le vin ou de le refroidir. La chimie est aussi appelée à la rescousse. C’est ici que le tartrate de calcium, le bitartrate de potassium et certaines mannoprotéines de levures entrent en action.

La grande vedette de la stabilisation et l’agent conservateur par excellence est cependant le SO2, appelé aussi dioxyde de soufre ou anhydride sulfureux. Bien entendu, le SO2 n’est pas le seul agent conservateur utilisé. Il y a aussi l’acide sorbique, l’argon, l’azote (lors de l’embouteillage), le gaz carbonique (CO2), le bisulfite et le metasulfite de potassium, la lyzozime et l’acide ascorbique.

Comme agents conservateurs aux propriétés antioxydantes, l’on utilise aussi le ferrocyanure de potassium, le phytate de calcium et l’acide citrique.

Pour compléter le tableau, ajoutons que certains vins sont parfois décolorés avec du charbon activé ou de la polyvinylpolypyrrolidone (PVPP), qui est une colle de synthèse.  Enfin, il faut parfois traiter certains vins au sulfate de cuivre pour faire disparaître certaines mauvaises odeurs. On se demande d’où elles peuvent bien venir.

Le vin est-il un produit naturel ? Si l’on se fie à cette longue liste des produits autorisés dans son élaboration par la législation européenne, le doute reste possible. Heureusement, tous ces produits ne sont pas utilisés par tous les producteurs de vin. (3) De plus en plus vignerons ont maintenant compris que le tout chimique n’est pas nécessairement la bonne solution pour assurer l’avenir de leur industrie. Les adeptes du vin bio, eux, se veulent le fer de lance d’une toute nouvelle approche. Ils ont tout de même tout un défi à relever.

 


(1) Liste comparative des traitements oenologiques autorisés, Institut français de la vigne et du vin

(2) Produit autorisé ne veut pas nécessairement dire utilisé. De plus en plus de producteurs n’utilisent que très peu de ces produits, sinon aucun, même s’il leur est permis de le faire.

(3) Lire ce qu’en pense une vigneronne de Bordeaux Château du champ des Treilles