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Les odeurs d’écurie dans le vin, les brettanomyces

(Modifié en 2011; en 2013; en 2021 et en 2023)

Il nous arrive quelquefois de sentir de fortes odeurs d’écurie, d’étable, de cheval, ou d’autres odeurs qui sont communes à la ferme dans les vins.

Ça surprend toujours. On aime ou on n’aime pas. Pour certains, ça fait partie des notes normales qu’on retrouve dans le vin. Par contre, d’autres personnes n’aiment pas et disent que c’est un défaut. Il faut dire aussi que les niveaux de perception de ces odeurs varient d’une personne à l’autre.

Les œnologues attribuent ces odeurs à des champignons, les brettanomyces (Brettanomyces Bruxellensis) communément appelées brett. «Ces levures peuvent transformer certaines molécules inodores présentes naturellement dans le vin en composés odorants désagréables: les éthyl-phénol. Cette altération se produit le plus souvent lors d’un élevage en barriques.» [1]

La brett infecte les boyaux, les barils et autres pièces d’équipement et peut finir par contaminer le vin.

Le niveau de contamination

La station régionale Midi-Pyrénées de l’Institut technique de la vigne et du vin affirme que «l’absence totale n’est pas forcément recherchée, seuls importent le niveau de contamination et les moyens de maîtrise. Parmi les facteurs aggravants, nous pouvons citer:
– un moût ou un vin riche en acides phénols;
– une hygiène mal maîtrisée;
– la présence de sucre résiduel, lors de fins de fermentation difficiles;
– des teneurs en SO2 faibles;
– l’élevage en barrique et une mauvaise désinfection des fûts.»

Le taux d’alcool élevé serait aussi favorable à la prolifération de cette levure.

Les producteurs essaient de la limiter, certains disent que c’est naturel au vin.

C’est tout un débat! Plusieurs personnes aiment ces odeurs, à condition qu’elles soient légères et accompagnées d’autres odeurs qui donnent une certaine complexité. On retrouve ces arômes dans les vins français, [particulièrement en Bandol et en Côtes-du-Rhône], surtout dans le cépage mourvèdre, quelques fois en Italie. On dit maintenant que le vignoble du Chili est très contaminé par cette bactérie. La carmenère et le cabernet sauvignon auraient tendances à y développer ces défauts. Des études sur le terrain dans plusieurs pays (France, Argentine, Uruguay) ont démontré qu’ «en moyenne, les levures Brettanomyces ont été détectables sur 12,5% des prélèvements de grappes abimées» tous cépages confondus.  [2] [3]

Il est généralement admis qu’un peu de brett améliore la complexité de certains vins. Il est intéressant de lire à ce sujet l’étude de Sam Harrop qui démontre qu’un peu de brett améliore les grands vins de syrah. [7]

On détecte la brett par la présence de la molécule phénolique 4-éthyl phenol. On dit qu’au-delà de 425 μg/l, elle affecte la qualité des vins. Voici les odeurs que les dégustateurs disent y trouver : la ferme, l’étable, la selle de cheval, la sueur de cheval, le fumier, le chien mouillé, le fromage, le diachylon, la basse-cour, la crotte de souris… [4]

«En œnologie par exemple, Brettanomyces, est responsable de la synthèse de tétrahydropyridine et de phénols volatils tels que le 4-vinyl-phénol, le 4-vinyl-gaïacol, le 4-éthyl-phénol, et le 4-éthylgaïacol qui à des concentrations relativement faibles suffisent à transformer une séance de dégustation en cauchemar (Chatonnet et al., 1992a et 1997 ; Licker et al., 1997, Chatonnet et Dubourdieu, 1999(a) ; Collard, 1999).»[5]

Les molécules malodorantes

«Le défaut des vins rouges caractérisés de « phénolés » et « animaux » est directement lié à la présence d’une quantité non négligeable de phénols volatils. Il s’agit en particulier d’éthyl-4-phénol et d’éthyl-4-gaïacol. À ceux là, s’ajoutent les vinyls phénols associés (vinyl-phénol et vinyl-gaïacol).

La présence de vinyl-phénols provoque des odeurs de vanille, d’épices lourdes et grillées, de fumet animal, de sparadrap® et de métal. Les éthyls-phénols sont quant à eux associés à des odeurs d’oeillet fané, de cuir, de sueur de cheval, d’écurie, de sparadrap®, de plastique, de fourrure mouillée, de viande crue, de feutre et de gouache (Licker et al., 1997).

Les éthyl-4-phénol et éthyl-4-gaïacol provoquent la dérive organoleptique du vin lorsqu’ils
atteignent des concentrations supérieures à leur seuil de détection dans le vin à savoir 450 mg/l dans des proportions respectives de 8:1 (Chatonnet et al., 1990 et 1992(a); Dubois, 1993 et 1994).» [5]

Le combat

Aux États-Unis, on utilise du produit qui contrôle les brett, du diméthyl dicarbonate (nom commercial Velcorin). Il était autrefois interdit en Europe, où on développe un produit moins dangereux le chitosane, d’origine fongicide. (Vitispère, 10 décembre 2009)

L’opinion d’un producteur

Dernièrement, nous avons été surpris de trouver cette odeur dans un vin de Chinon, région plus nordique, où les vins ont plutôt des arômes végétaux et de fruits.

Voici ce que nous dit un producteur de Chinon à ce sujet. Nous avons trouvé la réponse de M. Matthieu Baudry tellement intéressante que nous la reproduisons presque en entier.

« En effet, la cuvée ‘Grézeaux 2003’ dégage dès son ouverture des odeurs de cuir et animales rappelant l’écurie ou d’autres odeurs évoluées. Puis à l’aération, ces odeurs s’affinent et on sent des odeurs de fumée, de cacao avec des notes plus épicées.
Brett ? Phénols ? Épicé? Animal ?
Est-ce un défaut ? Une qualité ?
Certains clients adorent, d’autres n’aiment pas…
Certains vignerons apprécient, d’autres détestent…
Ces évolutions ne participent-elles pas à apporter de la complexité au vin ?

Nous, nous n’y sommes pour rien. Le même vin dans le millésime 2004 semble se présenter tout à fait différemment avec des notes beaucoup plus ‘fruits rouges’…

Nous pensons que ces odeurs dites ‘animales’ se retrouvent parfois dans les années de fortes maturités, quand les acidités sont faibles [exemple 1989, 1990, 1997, 2003]. On retrouve également ces odeurs dans des vins peu ou pas filtrés et avec des doses de SO2 assez faibles.

Quand elles ne sont pas trop dominantes et qu’elles laissent le vin s’exprimer avec de l’élégance et de la fraîcheur, nous aimons beaucoup. Lorsque ces senteurs sont fortes et que le vin n’a pas de subtilité et de structure, ce n’est pas agréable du tout.

Pour Les Grézeaux 2003, nous avons été surpris et inquiets, puis cette évolution s’est stabilisée et elle semble être plutôt appréciée. Les clients locaux et de nombreux vignerons de la Loire n’aiment pas.
Faut-il intervenir ‘œnologiquement’ pour empêcher ces odeurs animales ? Acidification, tanisage, sulfitage en grande quantité, filtration stérile, etc.
Notre position ne va pas en faveur de ces méthodes interventionnistes. »

En effet, cela semble bien une question de gout. Un hasard, une curiosité de la nature, de toute façon personne n’en est tombé malade à notre connaissance.

On peut aussi faire un parallèle avec les odeurs de pétrole de certains rieslings, on aime ou on n’aime pas.

À votre santé!


[1]Préserver et révéler la typicité du vin, document au format PDF de Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, cahier no 39, décembre 2002
[2] Dossier dépistage Brettanomyces, Oenodev
[3] The wines of Chile, Part 7, Wine Anorak
[4] The Science of Wine, Jamie Goode, 2005
[5] Contrôle et éléments de maîtrise de la contamination par la levure brettanomyces au cours du procédé de vinification en rouge, Thèse de doctorat de Pascal Barbin, 2006
[6] Image modifiée, Cheval à la seigneurie de la Nouvelle-France, Henri Caron © Le Québec en images, CCDMD
[7] The Role of Brettanomyces in the Production of High Quality Syrah-based Wines

Brettanomyces, Institut français de la vigne et du vin (consulté en 2021);
Brettanomyces : Le résultat prometteur des champs électriques pulsés, Vitisphère, juillet 2009
The misunderstood word of Brettanomyces, Linda Murphy, Decanter, janvier 2009

Brettanomyces (aka. Dekkera)
The production of volatile phenols by wine microorganisms. Lisha Nelson. Thèse de maîtrise en agriculture, Université Stellenbosch, décembre 2008 (PDF)

Étude et caractérisation de l’état «Viable mais Non Cultivable» chez Brettanomyces, une levure d’altération des vins, Thèse de doctorat, Microbiologie, Virginie Serpaggi, Université de Bourgogne, 8 juillet 2011 (PDF)

Brett ou pas (2015)

Brettanomyces (Brett): une guerre mondiale, Dico du vin.

Quand le vin sent…l’écurie, Vidéo 7 min, Yvan Rousselin, 8 juillet 2020

Des vins contaminés par les Brett.

Dernière modification: 4 décembre 2023.

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