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Vin et cancer : un pavé dans la cuve

Un verre de vin par jour serait nocif pour la santé!

L’Institut national du cancer de France publie une brochure demandant de ne pas consommer d’alcool au quotidien.

Le journal Le Monde a été le premier a publié cette information sous le titre Bannir l’alcool pour prévenir le risque de cancer.

C’est toute une bombe qui tombe sur le monde du vin!

On lit dans ce document intitulé Nutrition et prévention des cancers que «la consommation de boissons alcoolisées est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers : bouche, pharynx, larynx, oesophage, côlon-rectum, sein et foie.»

De plus «l’augmentation de risque est significative dès une consommation moyenne d’un verre par jour.»

Le pourcentage d’augmentation de risque de cancer serait de 168 % pour les cancers de la bouche, pharynx et larynx, de 28 % pour l’oesophage, de 10 % pour le sein1 et de 9 % pour le côlon-rectum.

Il ne s’agit pas ici d’une nouvelle étude, mais plutôt  de « méta-analyses d’études de cohorte réalisées dans le cadre du rapport WCRF/AICR 2007». Rapport qui avait semé la controverse (voir La Nutrition.fr, 2007)

Le document a été rédigé par trois personnes du réseau National Alimentation Cancer Recherche et une personne de l’Institut National du Cancer à la demande de la Direction générale de la santé (France).

On a ainsi actualisé une édition précédente parue en 2003. «Une synthèse des connaissances les plus récentes sur les liens entre nutrition et cancers.»

Jusqu’à maintenant les cancers de la bouche étaient surtout associés à la consommation de tabac ainsi que de la consommation combinée de tabac et d’alcool.

Selon Santé Canada, «une grande consommation d’alcool, surtout si elle combinée au tabagisme, augmente le risque.» (Maladie buccodentaire)

Le document français mentionne cela aussi en ces termes «l’éthanol contenu dans les boissons alcoolisées consommées entre directement en contact avec la muqueuse des voies aérodigestives supérieures (VADS : bouche, pharynx, larynx et oesophage) : il agirait localement comme un solvant et augmenterait la perméabilité de la muqueuse aux cancérogènes tels que le tabac ce qui expliquerait notamment la synergie observée entre ces deux facteurs de risque de cancers des VADS.»

Toutefois, les auteurs dans leurs conclusions et recommandations ne font plus référence au tabac : «En matière de prévention des cancers, la consommation d’alcool est déconseillée, quel que soit le type de boisson alcoolisée.»

Où est le Paradoxe français?

Les quatre chercheurs ne mentionnent pas du tout les autres études récentes qui disent que le vin est bénéfique à une certaine dose pour la santé (coeur, artères, Alzheimer…) Le site Vin et Santé en recense une trentaine. Ils se concentrent sur les études reliant les aliments et les cancers.

La brochure tombe pile au moment où les parlementaires français étudient un projet de loi controversé intitulé Hôpital, patients, santé et territoire, qui vise à réduire la consommation d’alcool.

Il contredit aussi tout ce qu’on entend et ce qu’on lit sur les bienfaits de la consommation d’un à trois verres de vin par jour.

En entrevue à la radio RTL le président de l’Institut du cancer, Dominique Maraninchi, dit «qu’il est faux de recommander de boire du vin pour sa santé. Non, ça c’est un mensonge (…) Il ne faut pas boire tous les jours.» (RTL)

De son côté, le président du Collège scientifique de l’Observatoire français des Drogues et Toxicomanies (OFDT), le Pr Sylvain Dally est moins catégorique «Quand on consomme des doses très faibles comme un verre quotidien, le risque de cancer est extraordinairement faible, voire négligeable».  Il ajoute qu’il n’est pas justifié de remettre en question les consommations très modérées d’alcool d’un ou deux verres par jour. «Ce risque de cancer est à mettre en balance avec les bénéfices sur le cœur et les vaisseaux.» (Agence de presse Destination Santé)

Le monde du vin réagit

L’Association générale de la production viticole de France dénonce cet «acharnement» et dit dans un communiqué qu’«une contre-expertise a d’ores et déjà montré les limites de ce rapport, et notamment le fait que de nombreuses études internationales (et plus particulièrement celle du Fonds mondial de recherche contre le cancer) concluent que le risque est réel pour une consommation excessive» (Le Parisien).

De son côté, directeur de l’Union des Côtes de Bordeaux, Christophe Château s’insurge. «Avec tout cela, nous sommes dans des stratégies de communication de guerre, où l’utilisation de la médiatisation est extrême, et va même trop loin ! Nous ne prônons pas les 2 verres pour les femmes et 3 verres pour les hommes par jour, mais bien la modération, et nous nous inscrivons pleinement dans les préconisations de l’OMS. C’est un véritable acharnement !»  (Bordeaux Actu)

Contradictions

La consommation de vin en France a diminué de 50 % alors que le nombre de cancers a plus que doublé dans le même temps. C’est ce que rappelle l’association Vin et Société en constatant que «le rapport de l’INCA préconise une abstinence à l’encontre de toutes les autres recommandations nationales (PNNS) ou internationales (OMS, WRCF)» (Destination santé)

Le journal La Provence qualifie le document de bombe et rapporte les propos contradictoires d’une autre chercheuse : «Mariette Gerber a participé en 2007 à l’étude « Alcool et risque de cancers ». D’après elle, le message de l’Institut national du cancer est réducteur : « Bien sûr il est important que les gens soient informés et conscients des risques mais de là à affirmer qu’il ne faut plus boire d’alcool… Le cancer, c’est un sujet complexe. Il y a toujours plusieurs facteurs : l’alimentation, l’hérédité… Dans le cas du cancer du sein par exemple, l’alcool n’est pas le facteur plus déterminant mais si on présente un terrain favorable, mieux vaut éviter d’en boire. » »

Il y a quelques semaines, la revue américaine Newsweek publiait un article intitulé Four More Reasons To Drink Red Wine, (Quatre raisons de plus pour boire du vin rouge).

Le journaliste Hervé Lalau écrit «Le Ministère de la Santé français persiste et signe; exhumant une enquête de l’Institut national (français) du Cancer datant de 2007, pourtant battue en brèche à l’époque…» (Chroniques vineuses)

Il est assez évident que cette bombe va faire du bruit et pourrait faire très mal au monde du vin.

Le site d’information santé La Nutrition.fr reproche à l’INCA de ne pas présenter une analyse globale et s’engage à présenter dans les jours une analyse détaillée sur le sujet.

En attendant, La Nutrition.fr continu de recommander une consommation légère de vin : «les personnes qui boivent peuvent continuer à le faire de manière régulière et modérée (0 à 1 verre par jour pour les femmes, 0 à 2 verres pour les hommes), en consommant fruits et légumes quotidiennement. Ce type de consommation n’élève pas le risque global de cancer et apporte un bénéfice net en termes d’espérance de vie.» (La Nutrition.fr, 18 février)

Un dossier à suivre.
  La brochure Nutrition et prévention des cancers (pdf)
  Voir le fil de presse sur ce sujet, et les blogues

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  1) On apprend pourtant qu’il y a diminition du cancer du sein en France. France 24.

Texte édité le 19 février.