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Doit-on donner une note aux vins?

  99-100
  96-98
  94-95 Excellent
  92-93
  90-91 Très bon
  88-89
  86-87  Bon
  84-85
  80-83 Correct

​Doit-on noter le vin?
Doit-on lui donner une note?
C’est un sujet qui revient souvent dans l’actualité vinique, surtout au Québec.
J’observe cinq choses concernant ce sujet:

  1. C’est un sujet récurrent;
  2. Il est la plupart du temps lancé par ceux qui ne notent pas;
  3. Les sommeliers en général ne notent pas;
  4. La note hiérarchise les vins;
  5. Chacun fait à sa guise.

Devrait-on noter les vins ? C’est la question que pose la réputée sommelière Véronique Rivest dans le journal en ligne La Presse (1). Véronique invoque plusieurs raisons pour ne pas donner une note au vin. «Ce qui m’agace le plus des notes, c’est que ça n’encourage pas le consommateur à penser par lui-même. Ce n’est pas parce qu’un vin reçoit une note de 95 qu’il plaira d’emblée à tous.» Puis, elle ajoute que «le problème est que lorsqu’il y a une note, très souvent les consommateurs ne lisent pas le commentaire!»

Il n’y a pas si longtemps, Philippe Lapeyrie a bien exprimé le point de vue des sommeliers dans un texte intitulé «Je ne suis pas un critique de vin». Il écrit dans le Journal de Québec «De nombreuses bouteilles nous ont fait faire la grimace… Bref, on essaie de filtrer la crème et de vous dénicher les meilleurs flacons. Philippe conclut «Je suis un marchand de bonheur.» (2)

Un sujet récurrent, en effet, car il y a près de 10 ans en janvier 2009, Jacques Benoit dans le même journal La Presse titrait «Faut-il noter les vins?» écrivait qu’«un débat est en cours parmi les membres de la presse vinicole québécoise sur la pertinence de la notation des vins.» Le journaliste y affirmait que le dégustateur «se doit de noter les vins, il se doit donc de se mouiller, quitte à se tromper! Il revient alors au lecteur ou à l’auditeur de juger de la pertinence de ses commentaires et des notes attribuées.» (3) Pour M. Benoit, une note c’est une opinion qu’un professionnel communique à son public.

M. Benoit n’a pas changé d’opinion aujourd’hui. «Le chroniqueur se doit de noter les vins — écrit-il dans son livre Le vin est une drogue, (4) publié demain. Parce que c’est précisément, l’un des buts de son travail… La note situe le vin dans l’échelle de la qualité…»

De son côté Marc Chapleau dit qu’il faut mettre ses culottes. «Accoler une note, un score. Histoire de me mouiller, de mettre mes culottes et de prendre position plus formellement.» Cellier SAQ (2011) (5)

Claude Langlois a écrit «Que ce soit avec des étoiles, des notes sur 20 ou sur 100, des pictogrammes, peu importe, l’idée est de donner au lecteur une appréciation de ce que vaut le vin.» Journal de Montréal (2015) (6).

En général, nous observons que les sommeliers ne donnent pas de note. Je vois mal comment il pourrait en être autrement. Les sommeliers sont souvent rétribués par l’industrie du vin. Il serait mal vu qu’un sommelier payé par une association de vignerons d’une région pour donner une conférence sur les vins de cette région, critique le lendemain un vin de cette région en lui donnant une bonne ou une moins bonne note qu’un autre vin d’une autre région. Il serait alors en apparence de conflit d’intérêts.

Donner une note au vin n’est donc pas le travail du sommelier, mais celui du critique de vin.

CRITIQUER, verbe trans.
La critique est un examen raisonné, objectif, qui s’attache à relever les qualités et les défauts et donne lieu à un jugement de valeur. (CNRTL)

Donner une note, c’est hiérarchiser. C’est dire qu’un vin est bon; l’autre très bon et l’autre juste correct ou même mauvais. Donner une note, c’est dire que celui-ci est meilleur que celui-là. La note complète les commentaires. Elle est un jugement global sur le vin.

De plus, comment juger du rapport qualité/prix du vin comparé à un autre s’il n’y a pas de note?

Bien sûr, il faut aussi justifier sa note. Puis, de toute manière, le jugement final sera fait par le consommateur.

Ne pas donner une note, c’est comme dans certaines écoles aujourd’hui, c’est faire passer tout le monde.

Le travail du critique de vin est de critiquer, de hiérarchiser. C’est du domaine de la critique. C’est différent du travail du sommelier qui est de suggérer des bons vins qu’il a aimés ce qui est du domaine de la promotion.

Je dirais même que la note en dit plus sur le vin que le commentaire. Elle est plus précise et plus reproductible. Car on a beau dire que le vin sent la framboise, est tanique et moyennement vif; des consommateurs le trouveront peut-être peu aromatique, non tanique et bien acide!

La note, le rang, le score est plus compréhensible pour le consommateur que la description organoleptique qui dépend du gout, de la température, de l’humeur du moment, de l’aération, des voisins, de l’ordre des verres, de la fatigue, du plat; donc d’une quantité énorme de variables qui ne seront probablement pas identiques lorsque le consommateur boira le vin commenté.

Le journaliste et critique de vin Antoine Gerbelle qui avait refusé de noter pendant 15 ans, dit que finalement 
«la note est une véritable prise de risque critique qui, au final, m’a fait, je crois, gagner en clarté.»

Après avoir mené une petite enquête sur ce sujet de la notation, Pierre Citerne écrit dans La Revue du vin de France «il est aussi difficile d’évoquer la qualité d’un vin avec une note que de faire revivre une saveur avec un descriptif aromatique. L’addition des deux procédés peut être considérée comme le moins mauvais des systèmes.» (7)

Finalement, citons le professeur de sommellerie Romain Gruson qui dit que «la question n’est donc pas tant de savoir si on peut noter un vin, mais si l’on souhaite, ou non, le faire malgré les difficultés que cela représente.» Le Clercle du vin (2017) (8).

En conclusion, disons que chacun fait comme il l’entend, selon ses capacités et son désir. C’est comme les vins, ils ne sont pas tous pareils, nous ne sont pas tous pareils. Et vive la différence!

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  1. Le courrier de la sommelière – De la pertinence des notes, Véronique Rivest, La Presse 24 février 2018
  2. Je ne suis pas un critique de vin, Philippe Lapeyrie, Le Journal de Québec, mars 2017
  3. Faut-il noter les vins? Jacques Benoit, La Presse, janvier 2009
  4. Le vin est une drogue, Jacques Benoit, Édition La Presse, février 2018
  5. Donner une note aux vins qu’on recommande : mettre ses culottes, Marc Chapleau, 2011, en cache Google.
  6. Noter les vins dans l’absolu ou par catégorie? Claude Langlois, Journal de Montréal, septembre 2015
  7. Débat : faut-il renoncer à noter les vins ? Par Pierre Citerne, La Revue du vin de France, 2012
  8. Comment mettre une note à un vin? Romain Gruson, Cercle du vin, septembre 2017
  9. Comment noter les vins, Les cinq du vin
  10. Critiquer le vin, Vin Québec.